De la pensée au cœur : un regard personnel sur la science

A l'occasion de la Journée Mondiale des Femmes et des Filles de Science, nous sommes allés à la rencontre de Nataliya Kos'myna, chercheuse au prestigieux MIT Media Lab et initiatrice du projet "Brain Switch", soutenu par La Fondation Dassault Systèmes. Portrait d'une femme brillante aux rêves bien accrochés.

International Day of Women and Girls in Science - Nataliya Kos’myna > La Fondation Dassault Systèmes

Nataliya Kos'myna est une scientifique franco-ukrainienne, titulaire d'un doctorat de l'Université de Grenoble dans le domaine des interfaces cerveau-ordinateur (ICO) non invasives. Elle a rejoint le MIT Media Lab de Boston en 2017 et travaille depuis une dizaine d’années sur des solutions permettant de contrôler drones, robots ou autres appareils par la pensée. Elle a remporté de nombreux prix et a été nommée en 2017 parmi les 10 Top French Talents des innovateurs de moins de 35 ans de la MIT Technology Review.

Nataliya a toujours été passionnée par l'idée de créer une connexion entre l’Intelligence Artificielle (IA) et la pensée humaine. D'une jeune Ukrainienne des années 1990 fantasmant devant son poste de télévision à une chercheuse renommée dans le domaine des interfaces cerveau-ordinateur : comment Nataliya a-t-elle fait de son rêve une réalité ?

De la science-fiction au monde réel

Nataliya est née en 1990 et a grandi au sein d’une famille modeste d’une petite ville d’Ukraine, dans laquelle les perspectives d’éducation s’arrêtaient au lycée. C’était une enfant calme, qui réussissait bien à l'école. Mais c’est en 1999 que tout bascule, avec la sortie du film Matrix. Elle rend ses parents fous à regarder le film en boucle : 27 fois au total !

Avec une mère spécialiste en neuropathologie et toute une bibliothèque de livres d'imagerie cérébrale à la maison, la fillette de 9 ans était probablement destinée à se passionner pour le cerveau. Ces questions ne l'ont jamais quittée depuis : comment fonctionne notre cerveau, et pourquoi fonctionne-t-il ainsi ? Peut-on imaginer qu’il se comporte différemment ? Pouvons-nous utiliser sa puissance pour améliorer la vie humaine ? À l'époque, l'Intelligence Artificielle n’était pas un champ d’études aussi développé qu’aujourd’hui, mais 15 ans plus tard, cette jeune rêveuse obtiendra son doctorat en IA et interfaces homme-machine.

A 19 ans, elle reçoit une bourse du gouvernement français pour venir étudier dans le pays : c'est l’opportunité d’une vie. Elle parle alors à peine français, mais décide de saisir sa chance, sans la moindre hésitation. "Le travail acharné porte ses fruits, et après tout, on ne vit qu'une fois", nous confie-t-elle avec un sourire fier. Et c'est ainsi que tout a commencé : un film de science-fiction, beaucoup de détermination, et un soupçon de chance.

Trouver du sens

Si la fascination et la passion de Nataliya pour les technologies d’Intelligence Artificielle ont grandi avec ses compétences et son expertise du sujet, elle a toujours su garder en tête la raison d’être de son métier : l’humain. Il est évident pour elle que la technologie, aussi puissante soit-elle, ne surpassera jamais la complexité du cerveau humain, et devra toujours avoir pour objectif de servir ses besoins.

Pour Nataliya, les machines ne sont rien de plus que des machines, aussi sophistiquées soient-elles. Elle nous affirme qu'aucune IA ne remplacera jamais l’expert, qui connait son sujet de A à Z. Le cerveau humain travaille plus vite, peut innover et, contrairement aux systèmes artificiels, a la capacité d’imaginer ce qui n'existe pas encore. "Il n'y a pas une seule IA, aussi entraînée et compétente soit-elle, qui puisse établir un lien de confiance, exprimer de l’empathie ou bien transmettre une émotion, que seule l’interaction humaine peut générer", dit-elle. "Et ce sont bien ces attributs qui nous aideront à affronter les défis qui nous attendent".

Pour Nataliya, la raison d’être de la science est de résoudre des problèmes afin d’améliorer, quelque part, la condition d’au moins une personne. Pour elle, être scientifique est une manière de contribuer à la société. « Je veux payer ma dette au monde », nous dit-elle d’un ton résolu. Ce que la technologie nous apporte est précieux, et nous aide à résoudre des défis complexes mais à la fin, ce qui compte, c’est que la solution soit tournée vers l’humain. C’est pourquoi elle souligne l’importance d’écouter les besoins des gens et de construire un système qui y réponde. 

La science doit servir l’humain dans sa quête d’une vie meilleure, plus longue et plus confortable. 

Parmi tous ses travaux, l’un de ceux que Nataliya a le plus à cœur de faire aboutir est le projet « Brain Switch », soutenu par La Fondation Dassault Systèmes. Il a pour but d’améliorer la vie quotidienne des patients atteints de la maladie de Charcot, pour lesquels peu de recherches sont menées car la maladie est encore considérée comme rare. Grâce à un système d'interface cerveau-ordinateur qui permet des réponses binaires contrôlées par le cerveau (comme oui ou non), Nataliya et son équipe aident les patients atteints de formes avancées de la maladie à communiquer avec leurs proches et leurs soignants.

Lors de son doctorat à Grenoble, Nataliya avait déjà travaillé à un projet de maison intelligente, grâce auquel il était possible de déplacer des objets ou d’actionner des interrupteurs par la pensée. Quelques années plus tard, à Boston, elle reçut un courriel de la mère d'un patient atteint de SLA, qui cherchait un moyen de continuer à communiquer avec son fils. Nataliya a été profondément émue par l'histoire de cette mère et a tout de suite décidé de l'aider. Mais les entreprises auxquelles elle a alors présenté le projet n'ont pas voulu investir car la maladie de Charcot ne touche que 30 000 personnes aux États-Unis(1), ce qui en fait une maladie rare. "J'ai réalisé qu'il n'y avait personne pour aider ces familles. Il fallait que ce soit quelqu'un comme moi, qui comprenne le besoin et qui puisse y apporter une solution viable", ajoute Nataliya. Dans cet état avancé de la maladie, le cerveau est le seul organe qui fonctionne encore correctement. Pourtant, 93 % des Américains refusent alors la respiration assistée car ils pensent que c’est la fin. Ce n'est pourtant pas le cas. Il est possible de conserver le lien, se dit alors Nataliya, via un système leur permettant de continuer à communiquer, et qui serait léger, confortable et facile à utiliser. C'est là que l’aventure « Brain Switch » a débuté.

Grâce au soutien de La Fondation Dassault Systèmes, le projet s'étend désormais à d'autres familles qui ont accepté de partager leurs données et de rejoindre la recherche. L'équipe a pu ainsi construire de premiers prototypes, que les patients peuvent conserver jusqu’à plusieurs mois, et peut désormais porter le projet à plus grande échelle. "Ce genre de projet, savoir que je peux mettre ma science au service du bien commun, me permet de mieux dormir la nuit", conclut Nataliya, un sourire reconnaissant sur les lèvres.

Jeunes filles : lancez-vous !

En tant que spécialiste du cerveau, Nataliya est toujours consternée de voir toutes sortes de stéréotypes de genre perdurer dans le monde de la recherche scientifique, qu'il s'agisse du sujet d'étude lui-même ou de l'émancipation et de la prise de responsabilité des femmes dans les équipes. Elle est effectivement la mieux placée pour savoir qu'il n'existe absolument aucune différence biologique dans le cerveau humain en fonction du genre, et pourtant, "certaines personnes croient encore à de telles absurdités en 2023 !"

Pour elle, la science se doit d’être inclusive et il est plus que nécessaire d'apporter des perspectives différentes autour de la table pour faire avancer la recherche. "Vous avez besoin de personnes différentes, aux points de vue différents et aux origines différentes ; cela signifie bien sûr des genres différents", précise Nataliya.

Elle souligne finalement le rôle de l'éducation dans la lutte contre les préjugés et l'autonomisation des enfants, qu'ils soient filles ou garçons. "Le respect est quelque chose que l’on peut enseigner, et nous devrions commencer dès l'école maternelle", dit-elle, "car le cerveau absorbe absolument tout et les préjugés se développent extrêmement tôt. Dès 10 ans, vous pouvez déjà avoir des stéréotypes ancrés dans votre esprit". Et s’il en est de la responsabilité des enseignants, celle des parents et des familles doit aussi, pour elle, être engagée.

Nataliya reconnaît enfin l'importance pour les jeunes filles d'avoir des modèles féminins, ce dont elle a bénéficié durant toute sa carrière, et de pourvoir évoluer dans un environnement favorable et inclusif. S'appuyant sur son expérience, elle termine notre conversation avec un message personnel pour les filles et les jeunes femmes :

Quoi que vous aimiez, quoi que vous souhaitiez faire de votre vie : allez-y ! N'écoutez pas ceux qui dénigrent vos rêves ! 

Nataliya est très fière d'avoir toujours trouvé la force de continuer, contre vents et marées, de s'être accrochée à son rêve d'enfant pour finalement contribuer à quelque chose de nouveau, de significatif et, surtout, d'utile.

Pour conclure, la chercheuse a encore quelques conseils pour l'adolescente qu'elle était, et ils sont également précieux pour les jeunes filles et les femmes d'aujourd'hui qui envisagent une carrière dans la science et la technologie : "Commencez jeune et donnez tout ce que vous avez ! Vous avez des doutes ou vous vous sentez intimidée ? Continuez, suivez votre intuition, postulez à plus de bourses, demandez des conseils et élargissez votre réseau, exprimez-vous, cherchez des soutiens solides : cela finit toujours par payer !"

En bref : si vous avez un rêve ou une passion que vous souhaitez poursuivre, ne les laissez jamais tomber. Un bon conseil pour tous ses camarades rêveurs, sans distinction de genre.